Les évadés de la Rue Barrow, Katerine et Samuel

Bonsoir, ninja. La forme ? Tu ne me parles pas beaucoup, tu sais ? Ça me brise un peu le cœur, tu sais… Du coup, pour remédier à mon infinie solitude, j’ai été faire copain-copain avec les évadés de la rue Barrow. Je sais pas si tu t’en souviens, ninja, mais on a joué avec eux une paire de fois cette année et c’était fort cool.

Mais lorsqu’ils ne font pas des matchs contre nous, les évadés font des spectacles d’impro au fil desquels ils racontent leur ascension dans le milieu criminel, leurs procès et, bien sûr, leurs évasions. Le prochain épisode de leurs aventures se joue le 25 mai à 21h, à l’école Télécom ParisTech (45 rue Vergniaud, dans le 13e) et s’intitule « Au mauvais endroit, au mauvais moment ». Personnellement, je te conseille d’y aller. Peut-être qu’on se croisera et qu’on se fera la bise. Qui sait.

Seulement voilà : le 25 mai, c’est dans deux semaines. Et deux semaines, c’est pas tout de suite. Tu ne sais pas quoi faire tout de suite, hein ? Eh bien je te propose deux choses. Premièrement, regarde ce court clip de Katerine.

Et maintenant, l’explication dudit clip, par notre Samuel. À tout-à-l’heure.

Il faut prêter attention aux paroles. « Comment tu t’appelles ? » ou le cri désespéré d’une jeunesse en quête de repères et condamnée à disparaître. La jeune fille est debout, en tension, revendicative, mais toute cette énergie devient stérile car elle se heurte à l’inertie du monde des adultes, avachis dans le hamac du monde postmoderne. La rationalité à sens unique du « Philippe » ne permet pas à la jeunesse de se construire, et cette non-progression tragique ne peut qu’arriver au « ta gueule » final, qui marque le refus de l’enfance, ou plutôt sa négation. Le plan final est en miroir de la première scène. Face au refus du rêve, l’enfance quitte la scène, par l’asphalte d’un monde déshumanisé, sur le couchant. Le mouvement de recoiffage typique du monde des adultes annonce chez la jeune fille la mort de l’innocence et l’acceptation des règles sociales d’un univers bourgeois formaté et in fine basé sur la répétition quasi automatique de schémas anthroproduits mais assimilés, naturalisés devrait-on dire. Toute la violence symbolique de notre monde contemporain éclate ainsi en silence devant le spectateur, spectre-acteur, car complice. La mise en abîme est subtile, car ici nous sommes entraînés dans le schéma responsabilisant – ou plutôt responsabiliseux – de l’artiste. On ne peut pas fuir, tout acte, toute émotion devient engagement. L’ennui ou le refus n’est que fuite, mais le rire est fondamentalement vicieux. Fou ne puis, sain ne daigne, névrosé je suis. C’est ici que l’artiste réussit son entreprise d’œuvre totale et autoenglobante. Mais l’œuvre est aussi appel. Le verbe « appeler » n’est pas choisi au hasard. L’œuvre elle-même est appel, appel de l’artiste vers le public, appel du sens vers un autre sens. Ainsi, cette chanson n’est autre qu’une allégorie de la création artistique, une image bouleversante du dialogue impossible entre l’artiste et son public. Elle nous fait comprendre subtilement que la quête de sens purement bilatérale, et à sens unique – ici dans les deux sens du mot « sens », à savoir direction et signification – est une quête illusoire, fondamentalement perverse, ou du moins égoïstement vouée à l’échec. Comment tu t’appelles ? Question fondamentalement subversive, il s’agit de questionner les certitudes et la routine de l’homme moderne. Comment tu t’appelles ? Comment savoir si l’on s’appelle, car, au bout du compte, on ne s’appelle plus ? La communication du monde 2.0 est factice, elle passe par une multitude d’écrans qui dénaturent les relations sociales et évacuent la possibilité même d’un véritable « appel ». Alors oui la question est posée, « comment » peut-on encore de nos jours lancer des appels, se rencontrer, instaurer un véritable dialogue ? La question se veut bombe sémantique, l’anaphore est une arme révolutionnaire, car l’enjeu est bien ici d’écouter la question, de l’écouter vraiment. La fin de la chanson révèle ici de façon poignante la profonde mélancolie de Katerine, qui choisit courageusement de mettre en scène la mort d’un échange qu’il n’a jamais cessé de promouvoir. Indubitablement, l’une des œuvres les plus radicales, bouleversantes et universelles de ce début de XXIe siècle.

Ça y est ? Ta vie est bouleversée ?

Bisous.

Une réflexion sur « Les évadés de la Rue Barrow, Katerine et Samuel »

  1. Et Elle s’appelle comme moi. C’est la classe un peu. Merci, jeune ragondin. Ah mince Loutre. L’idée est là.

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